Yann Rausis, jeune sage épatant
Pour sa première saison sur le circuit du Freeride World Tour, le skieur valaisan de 23 ans se surprend lui-même. A la veille de l’ultime étape, le prestigieux Xtreme de Verbier, cet étudiant en physique pointe au 5e rang mondial et peut viser le podium final
Publié vendredi 31 mars 2017
Les jambes fatiguées d’avoir skié toute la journée aux alentours du Mont Fort, Yann Rausis s’arrête finalement aux Gentianes, parfait balcon sur le Bec des Rosses. Enfant de la région, il a déjà ridé cette face, si attirante et effrayante à la fois, avec des amis, pour le plaisir. L’année dernière, il l’a dévalée en tant qu’ouvreur de l’Xtreme de Verbier. Mais samedi, pour la première fois, il tentera de la dompter en compétition. En finale du Freeride World Tour. «Si on m’avait dit ça, il y a une année, je n’y aurais pas cru. Je n’osais pas rêver autant grand, avoue-t-il. C’est un rêve qui se réalise, une étape très importante dans ma vie de skieur. Peut-être dans ma vie tout court.»
A force de le questionner ce mercredi, le Bec des Rosses lui a-t-il répondu? «Franchement, en arrivant ce matin, je me suis dit: «Aïe! Cette année ça va être la m…» Ça ne me parlait pas du tout. Et puis j’ai commencé à le regarder sous tous les angles et des idées me sont apparues. Là je peux dire que j’ai trouvé quelque chose qui me plaît. Mais il y a quand même un peu d’appréhension. Le Bec n’est pas parfait, il y a des atterrissages qui vont être chauds. Je n’aurais pas l’esprit totalement libre, il faudra rester très concentré, vigilant. La chute est tout le temps dans un coin de la tête. Il faut rester humble, respecter cette montagne. Et essayer de faire au mieux, en se faisant confiance.»
«Juste moi et la montagne»
Confiance et constance. Deux mots pour définir la première saison sur le Freeride World Tour du «rookie d’Orsières». Dossard N01 lors du premier événement, il n’a pas tremblé. «On pourrait penser que c’est un truc stressant, mais je l’ai tourné à mon avantage. J’étais seul, ça se jouait uniquement entre moi et la montagne. J’ai réussi à me libérer de la pression.» Il accroche le top 6 et n’en sortira plus de toute la saison. S’offrant même un premier podium, dès la deuxième étape, en Andorre. Parmi les 12 skieurs qualifiés pour les deux dernières compétitions, Yann Rausis a le bonheur de découvrir l’Alaska et d’y signer une cinquième place.
Il aborde ainsi la grande finale, l’Xtreme de Verbier, au 5e rang mondial. Témoin de sa régularité. «J’ai fait des choix qui étaient en accord avec ce que je suis capable de faire. J’ai su prendre des risques, mais la bonne dose. Pas trop non plus.» Le skieur de 23 ans a forgé cette sagesse ces derniers hivers, sur le circuit inférieur. «En deux saisons sur le Freeride World Qualifier, mon niveau a décuplé. C’est surtout par rapport au repérage de la face, il faut du temps avant d’arriver à être précis. Et là, ça va déjà beaucoup mieux.» Serein au départ de ses runs, il peut exprimer son style, «un ski solide, mais un peu en délicatesse», souvent pimenté d’énormes backflips.
Doué aussi sur deux roues
Un talent éveillé dès l’âge de 2 ans, lorsque ses parents le mettent sur les skis. Le gamin adore, il skie dès qu’il le peut sur les pistes de la Fouly. Membre du ski club Champex-Ferret durant quelques années, il participe aux entraînements sans jamais s’aligner en course. «Je n’étais pas attiré par les compétitions d’alpin. Mais j’ai pu bosser sur ma technique à ce moment-là.» Pré adolescent, il découvre la randonnée et le freeride grâce à son père, guide de montagne. «Il m’a emmené un peu partout dans le Val d’Entremont. C’est là qu’est né mon amour de la montagne, des pentes vierges.»
Avec ses potes, l’ado continue de pratiquer sa passion «avec acharnement, par plaisir, pour faire comme les Américains qu’on voyait en vidéo et qui envoyaient comme des fous». En été, il brille sur deux roues, en compétitions de cross-country, goûtant même à la Coupe du monde.
En quatrième année à l’EPFL
De 15 à 18 ans, il jongle ainsi entre deux sports et ses études, au collège de St-Maurice. Mais lorsque la discipline imposée par le vélo n’est plus conciliable avec le ski, il arrête. «J’ai décidé de ne faire que du ski. Cette passion était plus forte que tout. Mais il faut croire que la compétition m’a manqué parce qu’une année ou deux plus tard, je commençais déjà à faire des compétitions en ski…»
Des premières régionales au niveau mondial, l’ascension est fulgurante. Le Valaisan jongle désormais entre le ski et l’EPFL, où il est étudiant en 4e année de physique. «Il y a un conflit permanent entre mes études et le sport, mais en même temps c’est une complémentarité. Je me nourris de l’un pour la motivation de l’autre. C’est équilibre m’est essentiel.»
Au-delà des mots
Entre physique et ski, le lien n’est pas évident. L’Orsérain y a réfléchi. «Je vois une même quête de perfection. Le but ultime de la physique est de réussir à comprendre ce qui se passe dans la nature. A partir de la base, de trouver ces lois qui sont parfaites. Dans le ski il y a aussi ce lien à la nature – il est différent, c’est une connexion à l’environnement – et une recherche de perfection dans le mouvement.»
Car le freeride n’est pas pure performance sportive. «C’est comme de la danse, en accord avec le terrain et dans le bon tempo, dépeint Yann Rausis. On pourrait faire des parallèles entre une partition ou un tableau et une ligne de ski. Tout est question de rythme, de proportions. C’est au-delà des mots. C’est une harmonie qui nous éblouit.»