Ce site est en cours de reconstruction.

Merci de votre compréhension.

A très bientôt.

Yann

World Tour, portrait du skieur Yann Rausis

logogross

Scientifique de formation mais assoiffé de liberté, le Valaisan de 25 ans se laisse guider par une technologie solide et une curiosité infinie.

yannrausis24heures

Image : Marianne Claret

Le compétiteur Yann Rausis a déjà souvent été approché pour des projets de films de freeride.

À force d’inviter les meilleurs skieurs et snowboardeurs mondiaux à danser sur les cimes, à force de les emmener sur des faces qui effraient tout béotien, le Freeride World Tour a fini par créer des êtres fascinants. Des spécimens qui se fondent à merveille dans une dualité omniprésente: d’un côté, la liberté totale d’exécution; de l’autre, la sanction par notation. Ou quand la suppression de toutes les barrières cohabite avec une comparaison forcée, celle avec des potes soudains devenus rivaux.

Le Valaisan illumine le World Tour avec ses lignes d’antologie

Yann Rausis a parfaitement intégré cette dimension. À l’aube de son troisième hiver à soigner ses lignes sur le circuit, l’esthète originaire d’Orsières (VS) ne cesse de déployer son solide potentiel. Quatrième du classement général en 2017, il aurait pu espérer mieux que sa cinquième place l’an dernier avec un poil de réussite. Et si l’aspect compétitif est parfois remis en question par les puristes de la montagne, il lui permet, dans son cas, de se sublimer.

«Le freeride est d’abord constitué de personnes qui sont restées des enfants. Elles ont trouvé une activité pour s’échapper des contraintes de la vie» Yann Rausis

«Il y a peu de contextes dans la vie qui te permettent de te lâcher totalement, de montrer tout ce que tu as dans les tripes, explique-t-il posément. La compétition est l’endroit idéal où le faire, où aller chercher l’énergie et le feu en moi.»

Paradoxal pour un être ô combien réfléchi. Car Yann Rausis, c’est d’abord un regard doux et une voix suave. Un colosse aux pieds certes agiles, mais bâti façon force tranquille. Un scientifique appliqué. Master en physique à l’EPFL en poche, ce taiseux pèse ses mots comme il choisit ses lignes: en fin analyste. Dans le milieu, on le décrit d’abord comme le skieur méthodique par excellence.

L’extase organisée

Un exemple? Il est capable de rester quatre à cinq heures, immobile, à inspecter la face aux jumelles la veille d’une compétition. «L’exercice m’absorbe, je ne vois pas passer tout ce temps», dit-il simplement, alors que nombre d’adversaires perdent leur concentration en moins de vingt minutes.

La mise en pratique qui suit, dans cette poudreuse vierge (interdiction d’y toucher avant la compétition) a été structurée au millimètre. Elle est si travaillée que le rider sait qu’il peut lâcher les spatules. Deux minutes d’extase, à en croire le Bas-Valaisan, où l’assurance côtoie la prise de risque. Jouissif. «C’est l’un de mes moyens préférés pour m’exprimer, un contexte qui me permet de me surpasser. C’est pour ça que je m’aligne en compétition. Non seulement je l’aime, mais j’en ai besoin. Elle est essentielle dans ma construction personnelle.»

Directeur du Freeride World Tour qui l’a révélé aux yeux du monde, Nicolas Hale-Woods voit en lui «l’homme le plus constant de tout le circuit. C’est un cérébral, un scientifique. On sent qu’il analyse, qu’il tire des conclusions, puis les applique. C’est l’un des rares riders qui ne me donne aucune appréhension quand il s’élance. En vingt-quatre ans d’expérience, je n’en ai vu qu’une dizaine comme lui.» Et le créateur de l’Xtreme de souligner son style «élégant et beau à regarder» sur les skis.

Quand on lui demande si tout est vraiment si contrôlé, la réponse fuse: «Je passe énormément de temps à retourner la ligne dans ma tête pour ne pas prendre de risque inconsidéré le jour J. Mais typiquement, à Verbier l’an dernier, je suis sorti de mes limites. J’ai fait quelque chose que je ne serais pas prêt à faire à chaque fois.» Comment l’expliquer? «D’ordinaire, je préfère garder une marge, car au final le but est d’arriver entier en bas pour pouvoir retourner skier le lendemain. Or le contexte a fait que ce jour-là, je sentais que c’était possible.» Voilà les limites de la rationalité. Sous cette tête froide, il y a un cœur bouillant. Un artiste libéré. Car ce serait oublier un peu vite cette quête de réponses «moins triviales que les sciences», appuie-t-il. «J’aime réfléchir à tout ça, notamment quand je suis enfermé chez moi à cause d’une blessure comme ce fut le cas cet automne. Bien sûr, j’ai eu le temps d’analyser tout ce qui s’est passé au niveau cinématographique en ski durant l’année 2018. Mais j’aime me plonger dans des lectures, surtout quand elles ont trait à la philosophie ou la spiritualité.»

Longtemps, c’est Nietzsche qui l’inspirait sur sa table de nuit. «Même si je m’éloigne de plus en plus de sa pensée. Je crois que je ne l’ai pas encore totalement compris et c’est peut-être mieux, car il a fini sa vie un peu fou», sourit Rausis qui, contrairement à ses runs, tient à garder les chaussures de ski bien sur terre: «Je n’ai pas de préparateur mental à proprement parler, mais je me nourris d’une somme d’expériences.» Parmi les autres riders, notamment? «Bien sûr! Ce sont des gens simples qui aiment la nature. Entre nous, il n’y a pas de barrières, on a le contact facile. Le freeride est constitué de gens qui sont restés des enfants, qui ont trouvé une activité qui leur permet de s’échapper des contraintes de la vie.» L’une d’entre eux, Élisabeth Gerritzen, décrit le personnage: «Je le connais depuis mes débuts en freeride, et pour moi son style sur les skis représente qui il est dans la vie: son calme, sa maîtrise, ses capacités athlétiques, sa stabilité sur les skis, son assurance. Il n’a pas d’hésitation.»

«Parfois, il réagit de manière étonnante, voire bouillante. C’est d’autant plus marrant que les gens qui le croisent dans la rue doivent penser qu’il a deux de tension!» Élisabeth Gerritzen

Elle ajoute dans un sourire: «Et pourtant, il va aussi dans les extrêmes. Parfois, il réagit de manière étonnante, voire bouillante. C’est d’autant plus marrant que les gens qui le croisent dans la rue doivent penser qu’il a deux de tension! Il est posé, réfléchi, pas forcément des attributs du freerider moyen. Or c’est bien là que réside sa force.»

Des sources d’inspiration multiples

Une enfance dans les montagnes, où il a d’abord pratiqué avec talent le VTT (un amour qui persiste), lui a fait puiser des inspirations partout. «Autant des freeriders que des professeurs, des écrivains, des artistes… Je suis persuadé que les conditions mentales qui permettent d’arriver à la réussite en sport proviennent de beaucoup de domaines différents. Un freerider qui m’inspire beaucoup, c’est Drew Tabke (ndlr: champion du monde en 2013). J’adore son style, sa personnalité, sa manière de skier. S’il y a un style auquel je peux m’identifier et essayer de tendre, c’est le sien.»

Durant deux mois, il tirera la bourre à l’Américain sur les plus belles faces de la planète. «On tisse des liens intenses durant ces compétitions. Des relations de qualité. C’est une expérience humaine, un facilitateur de contacts. Il n’y a aucun ego entre nous ni envers qui que ce soit.» Respect et humilité pour tracer son chemin dans les méandres du quotidien: Yann Rausis avance dans la vie comme dans la poudreuse. Avec juste ce qu’il faut de maîtrise et beaucoup d’intuition.

Les deux Suissesses sur le podium

L’ouverture du Freeride World Tour samedi à Hakuba (Jap) a souri aux skieurs suisses. Yann Rausis a signé l’une des plus belles lignes du jour, même s’il a perdu tout espoir de podium après une touchette à la réception d’un saut (10e avec 70,67 points). Ses compatriotes féminines sont toutes deux montées sur la boîte. La rookie valaisanne Maude Besse (22 ans) a signé un prometteur 2e rang, avec un culot qui laisse augurer du meilleur cet hiver. Elle a devancé la Lausannoise Elisabeth Gerritzen (23 ans). «C’était une journée pleine d’émotions, qui nous a rappelé nos résultats en juniors. C’était si parfait qu’on est encore sous le choc», nous a confié Elisabeth Gerritzen depuis son nuage. C’est la première fois qu’une étape du World Tour se déroulait dans la copieuse poudreuse japonaise.

(Le Matin Dimanche)

Créé: 21.01.2019, 10h52