Un trio entre ciel et terre
Le freerider Yann Rausis vient de sortir un film de ski atypique qui s’articule autour d’une chanson écrite par sa mère et interprétée par sa grand-mère. Une belle occasion de parler d’enracinement et de libération avec trois Valaisans spirituels.
Françoise Claret chante les mots de sa fille Marianne Claret (au centre) que Yann, son petit-fils, illustre skis aux pieds.

Pourquoi un tel amour du ski m’habite? Je ne me l’explique pas. C’est une manière de répondre à mon désir de vivre pleinement, de redevenir enfant… Prendre des risques en montagne, c’est se reconnecter à quelque chose d’instinctif. Ressentir, respirer, habiter son corps plutôt que sa tête est salutaire dans notre monde aseptisé.» Dans la famille Rausis d’Orsières (VS), je demande le fils. Prénom: Yann. Âge: 28 ans. Profession: freerider et figure du Freeride World Tour. Mais peut-être pourrions-nous dire aussi chercheur. Non parce que le jeune Valaisan résidant à Lourtier (Val de Bagnes) est titulaire d’un master en physique appliquée de l’EPFL, mais parce qu’il se voit comme un «chercheur de réponses permettant d’élargir la conscience». Fin 2021 il a sorti son premier film, le très réussi et déjà trois fois primé From Source. Cette vidéo de treize minutes en forme de voyage chamanique commence par cette citation du maître spirituel indien Osho: «Vivez selon le point de vue du cœur et ses contractions vont commencer à faire fondre la glace».
Elle s’articule en deux parties distinctes autour d’un cristal de roche et de Sans peur et sans remords, une chanson écrite en 1998 par la mère de Yann Rausis et interprétée par sa grand-mère: «Ces mots pointent une envie qu’ont en commun tous les humains, consciemment ou non: celle de se libérer des conditionnements et des attachements. C’est un appel à l’audace d’être soi-même. Je l’ai écoutée en boucle longtemps et depuis plusieurs années déjà je me disais: un jour, je ferai un film avec».
Si Yann Rausis dévale de vertigineuses pentes de poudreuse skis aux pieds, il est tout aussi efficace et pertinent lorsqu’il cite le mystique indien Sri Aurobindo ou Friedrich Nietzsche, dont les ouvrages garnissent la bibliothèque familiale. A l’instar du philosophe allemand, ce grand barbu aux cheveux longs et au regard doux danse la vie, ou plutôt la skie, comme le lui ont appris ses parents.

MAMAN LIONNE, PÈRE INSPIRANT
Dans la famille Rausis, je demande la mère. Marianne, 53 ans, est enseignante de profession. Mais aussi photographe et romancière de vocation, confirme-t-elle en caressant son solide gaillard d’un regard aimant: «Yann a toujours été dans une quête d’absolu teintée de perfectionnisme. J’ai toujours vu en lui un artiste jusque dans sa manière de skier: il est très attentif à l’esthétique. C’est quelqu’un d’imaginatif et de rêveur qui habite son corps avec une immense présence. Dès son enfance, la maman lionne en moi savait que ce chien fou passerait forcément par la case freeride».
Dans la famille Rausis, je demande le père. Yves, guide de montagne, ne participe pas à l’entrevue, mais son ombre plane puissamment sur sa tribu. «Il est doué pour le bonheur, humble et très ancré. Il parle peu de spiritualité, mais il la vit. Il s’est mis à parler de la montagne avec Yann assez tôt comme s’ils étaient collègues», résume son épouse.
C’est lui qui a semé chez son fils unique l’amour de la montagne et qui lui a transmis un goût certain et prononcé pour le beau geste. Grâce à ses parents notamment, le fiston semble jouir d’un savant équilibre yin-yang. C’est d’ailleurs à ce thème du masculin et du féminin que Marianne a consacré son dernier roman, le politiquement incorrect Dans les yeux de Shanna.
LOUER SON ASCENDANCE
Françoise Claret, la grand-mère maternelle, est bien là, assise dans le salon familial du chalet d’Orsières. Agée de 80 ans, elle parle peu, mais approuve silencieusement les propos de sa fille. Professeure de yoga et chanteuse, elle a planté bien des graines chez Marianne et Yann, à commencer par celles du yoga et de la méditation. «Je suis né dans un terreau fertile au sein duquel on travaille à nos évolutions respectives. L’un de nos points communs est d’aimer traduire par les mots et les images ce que l’on vit intérieurement», résume Yann.
«Notre arbre généalogique compte plusieurs artistes. Qu’on le veuille ou non, on est tous les héritiers d’une histoire et d’un inconscient collectifs, reprend sa mère, grande admiratrice du psychiatre suisse Carl Gustav Jung. Il faut louer son ascendance avant de pouvoir s’en affranchir pour jouer sa propre partition, celle d’un désenracinement fécond.»
On le comprend, les Rausis sont des êtres spirituels. Une belle croix et une chapelle de montagne trouvent leur place dans From Source. Le catholicisme a-t-il la sienne dans leur quête, comme le laisse penser la croix au cou de Marianne? Oui, mais pas d’une manière classique. Le pendentif maternel renvoie «à la verticalité du ciel et à l’horizontalité de la terre». Pour la rayonnante quinquagénaire, «la spiritualité est ce qu’on vit au quotidien plus qu’une pratique rituelle. Nous sommes tous des passeurs d’humanité». La grand-maman confesse de son côté avoir été «élevée dans une religion de la peur» et s’en être li- bérée, mais elle reste croyante. Quant à Yann Rausis, il voit le Christ comme «un agent d’évolution important parmi d’autres».
VAINCRE L’AUTOMNE
«Mon film répond à un désir de l’âme de faire quelque chose qui me ressemble. J’y célèbre la vie sur les skis au-delà du format limité de la com- pétition et d’une manière que les mots de ma mère et la voix de ma grand- mère magnifient», conclut l’artiste et freerider.
En découvrant le film et la chanson, on comprend à quel point. «A l’heure où les hommes frissonnent sous les regards, sous les on-dit, je m’en irai vaincre l’automne seule, sans peur et sans répit. Je ferai de ma vérité un espace de liberté loin des feuilles frileuses qui s’amoncellent le froid venu comme de frêles pleureuses qui ne tolèrent l’inconnu», chante avec poésie l’hymne des Rausis. ■
Laurent Grabet

From Source, objet cinémato- graphique non
identifié, devait au départ s’intituler Entre ciel et terre.