« Le titre ne ferait pas de moi le meilleur rider du monde»
Ski freeride Etoile montante, le Valaisan Yann Rausis est l’un des favoris, aujourd’hui, de l’Xtreme de Verbier.
Yann Rausis dans ses œuvres, en Alaska, lors de la précédente étape du World Tour.
Image: Swatch Freeride
Intéressé et intéressant. Ce sont peut-être les mots qui définissent le mieux Yann Rausis. Le phénomène de 23 ans ne cesse de faire parler de lui. Seul Suisse qualifié pour la finale du Freeride World Tour à Verbier avec la Vaudoise Anne-Flore Marxer (Sam Anthamatten a reçu une invitation), le rookie valaisan est amené à briller encore de longues années. Actuel 5e du World Tour, il se battra, ce matin dès 9 h, avec les meilleurs skieurs freeride du monde pour tenter de décrocher le titre mondial. Amoureux de la compétition, de la nature, de la physique qu’il étudie à l’EPFL ou encore touché par la philosophie, le natif de Châtel-Saint-Denis (FR) est un jeune homme posé, touche-à-tout, modeste, mais qui sait ce qu’il veut. La rencontre devait durer quelques minutes, elle s’est prolongée durant quasi une heure. Une sorte d’après-ski improvisé finalement.
Yann Rausis, gagner l’Xtreme de Verbier, ça ferait quoi?
Maintenant que j’y pense, ce serait très beau de gagner. Pas uniquement parce que c’est l’Xtreme, mais parce que je suis à la maison, que mes proches sont là pour me soutenir. Ce serait un très grand moment pour moi et pour eux. Je rêve de le gagner pour vivre ça. Le Bec des Rosses et très spécial. Tu peux imaginer un rider qui choisit une ligne de chamois (ndlr: difficile, exposée), et qui fait son run lentement et un autre qui va extrêmement vite sur une trajectoire plus facile. Il n’y en a pas forcément un qui est meilleur que l’autre.
Et être champion du monde, c’est un rêve?
Pas tant que ça, en fait. Ce serait une récompense énorme, un petit moment de gloire qui m’offrirait certainement des opportunités pour le futur. Mais en même temps, je pense que je saurais relativiser. On est beaucoup de riders à mériter ce titre. Gagner ne voudrait pas dire que je suis le meilleur rider du monde, surtout pas.
Comment expliquez-vous votre réussite actuelle?
Je fais du sport depuis très longtemps et pas uniquement en freeride. Je pratique aussi assidûment le VTT. A 10-12 ans, je regardais les pros du ski et la seule envie que j’avais était d’atteindre leur niveau. Dès que j’avais du temps, je partais skier. Mes études ont également eu de l’importance : elles équilibrent ma vie et me redonnent à chaque fois la motivation de retourner faire du sport. Il faut retenir, je crois, que je progresse dans l’ombre depuis des années et que je ne suis donc pas ici par hasard.
Vous n’avez cependant pas tout misé sur le ski, puisque vous étudiez la physique en Master à l’EPFL.
Gagner ma vie en skiant me paraissait quelque peu utopique. J’ai toujours senti l’obligation de me former professionnellement, au cas où ça ne se passerait pas bien dans le sport. J’ai choisi des études qui me plaisent, sans forcément penser à un métier précis. Désormais, tout s’emboîte bien : j’ai terminé mon Bachelor et je peux prendre plus de libertés pour le ski.
Quelle serait votre identité sur les skis?
J’ai plutôt commencé dans le freeride et l’alpin, mais j’ai ensuite fait du freestyle. Je suis donc assez à cheval sur le style et je fais un mix entre tout ça.
Que répondez-vous à ceux qui disent que vous êtes inconscients ?
C’est normal de penser ça. Ce sport a acquis cette réputation dans le passé, notamment dans les années 90 lorsque le ski a beaucoup évolué. Il n’y avait plus vraiment de limites. Des choses complètement inconscientes ont été tentées et il y a eu beaucoup d’accidents. Notre sport a énormément évolué ces dernières années. Il y a désormais un circuit juniors, un circuit de qualification. Le système de notation permet également d’aller dans la bonne direction : lorsqu’un concurrent manque de contrôle, il est largement pénalisé. Ça nous force à mieux maîtriser nos trajectoires et peut-être à prendre moins de risques. Notre réputation évolue dans le bon sens.
En haut d’une face imposante, la peur vous tenaille-t-elle?
Non, ça serait mauvais signe. Je suis plutôt confiant et je me concentre sur ma ligne. Il y a toujours un peu d’appréhension car il reste une part d’inconnu. Il faut savoir s’écouter.
Avant de vous élancer, vous pensez à la mort?
De manière très rationnelle, très froide, tu te dis que oui, tu peux mourir dans beaucoup d’occasions quand tu skies. Mais c’est le cas aussi dans la vie normale. Si tu as cette pensée constante dans la tête, ça ne sert plus à rien de se lever le matin. Je préfère me dire que la vie est un miracle et qu’il faut la vivre en étant le plus en lien avec son intuition.
Sur le Tour, la montagne est sécurisée. Ce n’est pas le cas lors de sessions improvisées…
C’est très différent car on n’a pas pu effectuer le même repérage. Lorsque tu rides pour toi, tu apprends à connaître la montagne. C’est très important. En compétition, on peut être tenté de prendre trop de risques.
Préférez-vous rider en compétition?
J’ai appris à aimer la compétition. C’est l’occasion d’observer d’autres riders, de progresser. L’aspect précision est primordial. C’est comme un examen en fait ; tu as l’occasion de synthétiser tout ce que tu as appris dans un laps de temps très court.
Le freeride aux JO, vous en pensez quoi?
C’est à double tranchant. En compétition, on compare des identités, des styles, mais ça reste subjectif. Le sport gagnerait en visibilité en étant aux JO, mais en même temps il ne faut surtout pas qu’on pense que le freeride se limite à la compétition. L’esprit, à la base, c’est d’être dans la nature sur des faces encore intactes.
Quelle est la plus belle montagne sur laquelle vous avez skié?
En Alaska (ndlr: le Tour y a fait étape il y a une dizaine de jours). Ce qui était spécial, c’était d’être un peu hors du monde, au milieu de nulle part. En plus, la face était vraiment longue.
Faire plus de films, ça vous intéresse?
Oui, clairement. J’adorerais avoir mon propre projet, ou un projet qui me tienne à cœur, auquel je pourrais apporter ma touche personnelle. Filmer pour les marques, c’est bien, mais on peut parfois perdre le contrôle sur les images. Un projet plus orienté sur l’artistique que sur le marketing me plairait bien. Un film comme La liste, de Jérémie Heitz, par exemple, même si je ne pense évidemment pas être capable de réaliser la même chose que lui.
Laurent Morel
(24 heures)
Créé: 02.04.2017, 18h51