Cinéma: Yann Rausis ou le freerider qui tisse sa toile familiale

Rausis fait ses premiers pas de cinéaste en même temps que sa maman sort un livre. Une synchronicité en rien délibérée mais qui dit la place de l’art dans la famille.

Il a garé sa Passat passe-partout devant la maison de ses parents. Dans le coffre, on devine une paire de skis. Sur le dossier du siège conducteur, un dossard vermillon du Freeride World Tour fait office de housse. Pas de doute, on est à la bonne adresse.

Furtif coup de sonnette. C’est la maman Marianne qui nous ouvre la porte du chaleureux foyer familial d’Orsières. Derrière, son fils, accolé à un pansu fourneau en pierre ollaire, nous salue. Aujourd’hui, on n’est pas venu à la rencontre de Yann Rausis le freerider médaillé mais de Yann Rausis le réalisateur baptisé.

Un premier film remarqué

Car l’Orserain, établi depuis peu dans le val de Bagnes voisin, n’a jamais eu que le sport ou la compétition en tête. Une blessure au genou et une année Covid plus tard, il revient sur le devant de la scène avec un film entièrement autoréalisé. «From Source» est en ligne depuis le 21 décembre mais a déjà fait un sacré bout de chemin dans différents festivals étrangers, glanant même quelques prix.

Rendu possible par un financement participatif, le court-métrage de 13 minutes casse les codes, comme aime à dire Marianne Claret. La maman a toujours su au fond d’elle que «ce garçon toujours un peu dans la lune» saurait faire parler sa fibre artistique. «Petit, il remplissait le salon de petites constructions en bois. Il avait sans cesse besoin de créer», se souvient la génitrice assise sur un coin de canapé.

Le vertige des pentes vierges

Sous l’œil de son père guide de montagne, l’adolescent, épris de liberté, taille ensuite des lignes épurées avec ses larges spatules dans un même souci d’esthétisme et de perfection du geste. Que ce soit sur les pentes du Bec des Rosses ou celles de Kicking Horse, Yann Rausis s’est fait un nom dans la planète freeride grâce également à son style léché.

Mais désormais à l’aube de la trentaine, il aspire à d’autres montées d’adrénaline. Plus intérieures. Des élans mystiques dont ne fait pas mystère son film – tourné en 3 mois au printemps 2021 – qui prend des libertés par rapport aux productions parfois grandiloquentes montrant des skieurs évoluant «sans peurs et sans remords».

L’art, un joyeux atavisme

Cette formule est celle que chantonne sa grand-maman Françoise dans la bande-son choisie pour la deuxième partie de sa toile. Un morceau extrait d’un ancien album qui le touche au cœur et dont il veut faire don au public actuel. Un contrepoint tout désigné au rock progressif rythmant le premier chapitre. Car «From Source», production 100% valaisanne, puise abondamment dans l’héritage familial où l’art a toujours eu une place de choix.

Chant pour la grand-maman qui gagnera une jolie notoriété dans les années 90 en prêtant notamment sa voix aux mots de sa fille. Ecriture pour Marianne qui publie ces jours – dans une heureuse synchronicité – son deuxième ouvrage «Dans les yeux de Shanna». Cinéma pour Yann. Mais, à vrai dire, tout n’est pas si compartimenté. Car Marianne est aussi une photographe avertie et Yann un guitariste de plus en plus assidu. Et tous les deux choient les mots. L’énorme bibliothèque du salon qui avale un minuscule poste de télévision ne trompe personne.

Culture de l’image

On y aperçoit un livre de la célèbre photographe franco-suisse Sabine Weiss, tout juste décédée, à côté d’un épais bouquin sur l’Alaska et de nombreux romans dont ceux de Noëlle Revaz, «un de mes coups de cœur», nous confie Marianne Claret. L’écrivaine de la famille, enseignante à la ville, a mis du temps – quinze ans – à sortir son deuxième ouvrage fictionnel. On la dit parfois «trop intello», «pas assez commercial». Marianne n’en a cure. «L’écriture, c’est mon espace de liberté.»

« L’écriture, c’est mon espace de liberté. »

MARIANNE CLARET, LA MÈRE DE YANN RAUSIS

Son fils figure parmi ses premiers lecteurs. Un regard de l’intérieur qui compte pour celle qui aborde, à travers la littérature, des thématiques d’actualité. Réseaux sociaux, rapport hommes femmes, tension entre individualisme et collectif constituent ainsi la trame de son dernier livre rétif à toute catégorisation. «J’aime beaucoup sa patte artistique», lâche sans fausse complaisance Yann, lui aussi fasciné par la figure de Jung hantant le dernier livre de sa maman.

Une même soif d’absolu

Car s’il détient un master en physique de l’EPFL, l’enfant d’Orsières, prix Maurice Chappaz des collégiens, n’a jamais caché son admiration pour les penseurs. «Je crois que Jung m’a guéri de Nietzsche», lâche-t-il dans un sourire, en référence à ses lectures compulsives d’étudiant universitaire. Aujourd’hui, c’est plus vers le levant que son intérêt se porte, citant «La voie ensoleillée» de La Mère ou l’œuvre de l’écrivain spiritualiste indien Sri Aurobindo.

Reprendra-t-il le fil de la compétition un jour? Le rider reste évasif, soucieux de ne fermer aucune porte. Quant à Marianne, elle aspire en 2022 à donner plus de place à sa pratique artistique.

Avancer hors des sentiers battus, suivre le fil de leurs intuitions, Marianne et Yann ont cet héritage en commun. Si l’une, très organisée, court avant le temps et l’autre, plus oisif, le suit aux trousses, mère et fils sont animés d’une même quête de l’absolu. Aspirés par le haut mais les pieds bien enracinés. Attirés par l’ailleurs mais à l’aise ici-bas. Entre le ciel et la terre, l’art comme trait d’union.

Infos pratiques

«From Source», court-métrage de 13 minutes de Yann Rausis en ligne depuis le 21 décembre.

«Dans les yeux de Shanna» de Marianne Claret, éditions de l’Aire, décembre 2021.